Mathématiques
Histoire des travaux
mathématiques de Sophie Germain
par H. Stupuy
Après la consécration
"Sophie Germain avait donc vaillament conquis sa place parmi les
savants. Mais elle n'était pas de ces âmes faibles qu'un premier succès
annihile. Laborieuse plus que jamais, on la voit alors assister aux
séances de l'Académie des sciences, poursuivre ses travaux, se tenir
attentive à ceux des autres et, même, trouver le temps de s'employer
pour ses amis. La voici, par exemple, aidant Fourier, l'illustre
géomètre à qui le Cours de Philosophie positive est dédié, à obtenir du
suffrage de ses collègues le poste de secrétaire perpétuel de
l'Académie des sciences: "Les personnes que vous aimez et que vous
protégez ne doivent pas être malheureuse. - Un suffrage que je vous
devrai a encore plus de prix à mes yeux. Enfin, les dieux en
décideront. Mais ce qui est indépendant des dieux, ce sont mes
sentiments de reconnaissance". Ces passages d'une lettre que lui
adresse le candidat, témoignent que Mlle Germain ne se croyait pas
dispensée par le calcul intégral, de la bonté active dont le fabuliste
va chercher l'exemple au Monomotapa.
En 1821, ayant revu et coordonné tous ses travaux mathématqiues
antérieurs, elle envoie à l'Académie un Mémoire intitulé: Recherches
sur la théorie des surfaces élastiques, dans lequel elle expose les
fondements de son analyse. Fourier lui rend compte de la présentation
de son travail: "M. Cuvier était chargé lundi dernier de la lecture de
la correspondance. Je l'ai prié de présenter votre Mémoire et j'en ai
indiqué l'objet. Après la lecture, on a nommé MM. Laplace, Prony et
Poisson, commissaires. J'insisterai autant qu'il sera nécessaire pour
qu'il fasse le rapport que vous désirez. Si M. Poisson a le dessein de
faire quelque opposition au résultat de vos recherches, il ne pourra
s'empêcher de céder à l'autorité de l'expérience que personne ne sait
mieux consulter que vous. Autant que j'aie pu prendre connaissance de
la discussion dont vous vous êtes occupée, il m'a paru que vous mettez
dans tout son jour l'influence de l'hypothèse théorique dont il a voulu
déduire l'équation du 4ème ordre que vous avez trouvée."
Ce mémoire fut publié, à l'instigation de Fourier et Legendre, en 1824.
Cependant Sophie Germain étudiait, revoyait et corrigeait sans cesse.
En 1826, elle met en librairie un nouveau Mémoire: Remarques sur la
nature, les bornes et l'étendue de la question des surfaces élastiques.
Les académiciens n'avaient pas encore fait leur rapport sur le premier
Mémoire: ici, elle le commente, l'amende, le développe, produit de
nouvelles confirmations de la doctrine qu'elle a exposée, en multiplie
les applications et donne cette équation des surfaces élastiques
vibrantes:qui,
dit-elle, est générale, et appartient à la surface
courbe-élastique-vibrante; si bien que les différentes valeurs qu'on
peut attribuer au rayon
de moyenne courbure la rendent applicables à toutes les courbures
possibles. Je ne résiste pas au plaisir de reproduire le préambule de
ces Remarques; outre qu'il
précise et circonscrit nettement la question, il montre chez l'auteur
cette connaissance de soi, dans le fort comme dans le faible, qui est
la marque de la supériorité vraie:
"Lorsque, pour la première fois, je me suis occupée de rechercher, par
rapport aux surfaces, l'expression des forces d'élasticité, je
travaillais, pour ainsi dire, sous la dictée de l'expérience. La
question était nouvelle; alors peut-être eût-il été difficile d'en
poser les limites."
"Les seuls phénomènes connus appartenaient au mouvement des plaques
vibrantes; et pourtant la manière dont j'avais envisagé la
forceélastique me permettait d'espérer qu'une hypothèse semblalble
serait applicable aux surfaces courbes."
"Aucun des faits observés ne se rapportait au cas où l'épaisseur
varierait d'un point à un autre de la surface; toutefois, la théorie,
qui s'était formée sans aucun égard à une telle variabilité, se trouva
propre à en expliquer les effets."
La direction qui doit être attribuée au mouvement des différents points
de la surface vibrante n'avait pas été suffisamment déterminée; et l'on
avait à cet égard plutôt des modèles que des doctrines. Dans le cas
linéaire, les géomètres ont supposé que le mouvement s'exécute tout
entier dans une direction perpendiculaire au plan de la lame en repos:
j'admis la même chose par rapport aux surfaces planes. Guidée ensuite
par l'analogie seule, je crus pouvoir supposer que le mouvement des
divers points d'une surface courbe s'exécute tout entier dans des
directions perpendiculaires aux plans tangents à chacun des mêmes
points, considérés sur la surface en repos. J'ai reconnu depuis que
cette supposition, loin de constituer une simplification particulière à
certains cas du mouvement des surfaces, exprimait, au contraire, une
condition essentielleà ce genre de mouvement."
"Il m'avait enfin toujours paru certain que des simplifications
analogues à celles qui servent à établir l'équation des plaques
vibrantes conduiraient à trouver, pour les surfaces courbes, une
équation du même ordre; j'avais même cherché à réaliser cette idée en
prenant la surface cylindrique pour exemple; et il ne me restait aucun
doute sur l'exactitude des formules que j'avais publiées: mais je
reconnaissais cependant qu'une analyse embarassée et fautive ôtait à
ces formules le caractère d'évidence qui leur est nécessaire.
J'éprouvais encore quelque difficulté à faire mieux, lorsque la
légitimité des simplifications, qui n'avaient encore en leur faveur
qu'une analogie plus ou moins bien établie, s'est montrée à mes yeux
comme une conséquence nécessaire de la nature même de la question."
Ce préambule, si magistralement écrit, n'a-t-il pas la valeur d'un
trait de caractère?
Elle travaillait.
S'exerçant sur les théorèmes que Fermat avait laissés sans
démonstration, elle trouve elle-même des théorèmes numériques
remarquables, si remarquables que Legendre les insérera dans un
supplément à la seconde édition de sa Théorie
des nombres. Elle collabore en même temps à divers
recueils périodiques. C'est d'abord, dans les Annales
de Physique et de Chimie, un examen des principes qui
peuvent conduire à la connaissance des lois de l'équilibre et du
mouvement des solides élastiques; cet examen est une réponse évidente,
quoiqu'il n'y soit pas nommé, à un Mémoire de Poisson en lequel se
trouve cette supposition qu'il suffit de considérer les actions
moléculaires comme des forces quelconques, décroissant rapidement avec
la distance. Mlle Germain, elle, cherche à établir que les hypothèses
sur la constitution intime des corps sont inutiles et même nuisibles
dans la question des corps élastiques, et qu'il suffit, pour résoudre
les problèmes de ce genre, de partir de ce fait général que les corps
élastiques ont tendance à se rétablir dans la forme qu'une cause
extérieure peut leur avoir fait perdre; sur quoi Navier, à son tour,
écrit: "On a généralement accordé quelque estime aux efforts qui ont eu
pour résultat d'établir les principes et les formes analytiques au
moyen desquels une classe particulière de phénomènes était, pour la
première fois, soumise à l'empire du calcul. Quant aux observations de
M. Poisson, d'après lesquelles il ne serait pas permis de représenter
les forces résultant des actions moléculaires par des intégrales
définies, nous ne partageons pas cette opinion." C'est ensuite dans les
Annales de Crelle, à Berlin,
un Mémoire sur la courbure des surfaces.
C'est enfin, dans ces mêmes Annales, une note sur la manière dont se
composent les valeurs
et
dans l'équation et
celles de
et
dans l'équation
On sait que, réfugiée alors dans son cabinet comme pendant la première
crise rénovatrice, elle composa ces deux derniers ouvrages au bruit du
canon de Juillet 1830.
Tel est le résumé succint des travaux mathématiques de Sophie Germain.