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Mathématiques

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Histoire des travaux mathématiques de Sophie Germain

par H. Stupuy

L'élasticité

"Donner la théorie mathématique des surfaces élastiques et  la comparer à l'expérience"

Ernst Chladni 1756-1827"Chladni, déjà célèbre en Allemagne, par des expériences curieuses sur les vibrations des surfaces élastiques, vint, en 1808, répéter ses expériences à Paris; elles tendaient à démontrer que l'influence des vibrations sur les corps est soumise à des lois mathématiques constantes. Sa méthode, simple et ingénieuse, consistait à saupoudrer de sable fin ou de poussière, des plaques dont les vibrations se traduisaient aux yeux par les figures qu'elles dessinaient. C'était un champ nouveau ouvert à l'acoustique; le monde savant s'émut, une commission fut instituée pour statuer sur les résultats obtenus, et un rapport favorable s'ensuivit. Napoléon devant qui les expériences avaient eu lieu, fit alors proposer un prix extraordinaire à l'Institut pour qu'elles fussent soumises au calcul, et Mlle Germain se résolut à prendre part au concours (... )
Lors des expériences de Chladni, la théorie mathématique du mouvement vibratoire suivant une seule dimension, se trouvait donc seule complète. De quoi s'agissait-il pour faire un nouveau pas? Il s'agissait de considérer un cas plus difficile et plus rapproché de la réalité: la vibration des surfaces. Là est l'importance des travaux de Sophie Germain; car Auguste Comte lui rend cette justice, c'est la "mémorable impulsion donnée à la science, sous ce rapport", par son génie, qui incita les géomètres à cette nouvelle étude.
Le concours de l'institut s'ouvrit donc, et la question fut ainsi posée: Donner la théorie mathématique des surfaces élastiques et  la comparer à l'expérience. Lagrange ayant affirmé que cette question ne serait pas résolue sans un nouveau genre d'analyse, tous les géomètres se courbèrent devant cette imposante autorité et, parait-il, s'abstinrent. Seule Sophie Germain ne désespéra point du succès, observa, étudia longtemps les phénomènes et, le 21 septembre 1811, envoya à l'Institut un Mémoire anonyme des surfaces élastiques."  

Sophie sonne trois fois...

"Sans doute, au cours de ses recherches, elle s'était aidée des conseils ou du moins avait pris l'opinion de ses savants amis, puisque nous avons une lettre de Legendre, à elle adressée, en laquelle, soulevant des objections et indiquant des difficultés, il dit qu'il n'a pas assez réfléchi sur ces sortes de questions et qu'il aime mieux "donner cause gagnée à Mlle Sophie, que de lutter avec elle sur un sujet qu'elle a beaucoup médité". Lagrange n'imita pas cette réserve et communiqua une note aux commissaires chargés du Mémoire ( Les commissaires étaient LaplaceLagrange, Lacroix, Malus et Legendre), note où il signale l'inexactitude de l'équation proposée et déclare " que la manière dont on cherche à la déduire de celle d'une lame élastique en passant d'une ligne à une surface lui parait peu juste". Le prix ne fut pas donné. Le vrai, c'est que Sophie Germain, travaillant pour ainsi dire d'instinct et sans avoir jamais fait un cours régulier d'analyse, n'avait pas résolu complètement la question; mais son Mémoire, dont la sagacité fut remarquée, ouvrait si bien la voie que Lagrange en tira l'équation exacte. Legendre (4 décembre 1811) en prévient l'auteur, lui apprend que M. Biot aussi croit avoir trouvé la véritable équation  de la surface élastique vibrante, laquelle équation n'est pas la même que celle trouvée par Lagrange d'après l'hypothèse du Mémoire, et il ajoute: "J'imagine que la question seraBiot posée avec un nouveau délai; ainsi miséricorde n'est pas perdue: au contraire, il faut plus que jamais songer à emporter la palme".
Un second concours fut, en effet, ouvert. Mlle Germain se remit à l'étude et, le 23 septembre 1813, envoya un second Mémoire. Ici encore on voit la sagacité de l'auteur trompée par l'imperfection de son instruction première, et Legendre, qu'elle consulte (4 décembre 1813), ne le lui cacha pas: "Je ne comprends pas du tout, lui écrit-il, l'analyse que vous m'envoyez, il y a certainement erreur ou dans l'écriture ou dans le raisonnement; et je suis porté à croire que vous n'avez pas une idée bien nette des opérations qu'on fait sur les intégrales doubles dans le calcul des variations". Et plus loin: "Il parait reconnu cependant que votre équation est réellement celle de la surface vibrante. En mettant l'analyse à part, le reste peut être bon, en ce qui concerne l'explication des phénomènes. Si la commission de l'institut était de cet avis, vous pourriez être mentionnée honorablement; mais je crains bien que l'analyse manquée ne nuise beaucoup au Mémoire, malgré ce qu'il peut contenir de bon".
Legendre ne se trompait point: Mlle Germain obtint seulement la mention honorable.
Poisson 1781-1840Un troisième concours eut lieu en 1816. Cette fois, c'est Poisson que Mlle Germain consulte sur le Mémoire envoyé par elle, et Poisson (15 janvier 1816) répond: "Le reproche que la commission lui a fait (au mémoire) porte moins sur l'hypothèse dont vous êtes partie que sur la manière dont vous avez appliqué le calcul à cette hypothèse. Le résultat auquel ce calcul vous a conduite ne s'accorde avec le mien que dans le seul cas où la surface s'écarte infiniment peu d'un plan, soit dans l'état d'équilibre, soit dans l'état du mouvement".
Plus sûre d'elle-même, Mlle Germain avait, pour ce nouveau concours, renoncé à l'anonymat. L'Académie rendit un jugement à la suite duquel le Mémoire fut enfin couronné, quoique l'équation n'y fut pas encore démontrée rigoureusement.
La séance publique où le prix fut proclamé eut lieu le 8 janvier 1816. Réservée ici, comme en toutes choses, Sophie Germain s'abstint d'y paraitre.
C'est ce que le Journal des Débats de l'époque constate en ces termes: " La classe des sciences mathématiques et physiques de l'Institut a tenu aujourd'hui, 8, sa séance publique, devant une assemblée fort nombreuse qu'avait attirée sans doute le désir de voir une virtuose d'un genre nouveau, Mlle Sophie Germain, à qui le prix des lames élastiques devait être donné.  L'attente du public a été trompée: cette dernière n'est point venue recevoir une palme que son sexe n'avait pu encore cueillir en France".


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