"Chladni,
déjà célèbre en Allemagne, par des expériences curieuses sur les
vibrations des surfaces élastiques, vint, en 1808, répéter ses
expériences à Paris; elles tendaient à démontrer que l'influence des
vibrations sur les corps est soumise à des lois mathématiques
constantes. Sa méthode, simple et ingénieuse, consistait à saupoudrer
de sable fin ou de poussière, des plaques dont les vibrations se
traduisaient aux yeux par les figures qu'elles dessinaient. C'était un
champ nouveau ouvert à l'acoustique; le monde savant s'émut, une
commission fut instituée pour statuer sur les résultats obtenus, et un
rapport favorable s'ensuivit. Napoléon devant qui les expériences
avaient eu lieu, fit alors proposer un prix extraordinaire à l'Institut
pour qu'elles fussent soumises au calcul, et Mlle Germain se résolut à
prendre part au concours (... )
, la
théorie mathématique du mouvement vibratoire suivant une seule
dimension, se trouvait donc seule complète. De quoi s'agissait-il pour
faire un nouveau pas? Il s'agissait de considérer un cas plus difficile
et plus rapproché de la réalité: la vibration des surfaces. Là est
l'importance des travaux de Sophie Germain; car Auguste Comte lui rend
cette justice, c'est la "mémorable impulsion donnée à la science, sous
ce rapport", par son génie, qui incita les géomètres à cette nouvelle
étude.
Lagrange
ayant affirmé que cette question ne serait pas résolue sans un nouveau
genre d'analyse, tous les géomètres se courbèrent devant cette
imposante autorité et, parait-il, s'abstinrent. Seule Sophie Germain ne
désespéra point du succès, observa, étudia longtemps les phénomènes et,
le 21 septembre 1811, envoya à l'Institut un Mémoire anonyme des
surfaces élastiques."
"Sans
doute, au cours de ses recherches, elle s'était aidée des conseils ou
du moins avait pris l'opinion de ses savants amis, puisque nous avons
une lettre de
Legendre,
à elle adressée, en laquelle, soulevant des objections et indiquant des
difficultés, il dit qu'il n'a pas assez réfléchi sur ces sortes de
questions et qu'il aime mieux "donner cause gagnée à Mlle Sophie, que
de lutter avec elle sur un sujet qu'elle a beaucoup médité".
Lagrange
n'imita pas cette réserve et communiqua une note aux commissaires
chargés du Mémoire ( Les commissaires étaient
Laplace,
Lagrange,
Lacroix, Malus et
Legendre),
note où il signale l'inexactitude de l'équation proposée et déclare "
que la manière dont on cherche à la déduire de celle d'une lame
élastique en passant d'une ligne à une surface lui parait peu juste".
Le prix ne fut pas donné. Le vrai, c'est que Sophie Germain,
travaillant pour ainsi dire d'instinct et sans avoir jamais fait un
cours régulier d'analyse, n'avait pas résolu complètement la question;
mais son Mémoire, dont la sagacité fut remarquée, ouvrait si bien la
voie que
Lagrange
en tira l'équation exacte.
Legendre
(4 décembre 1811) en prévient l'auteur, lui apprend que M.
Biot
aussi croit avoir trouvé la véritable équation de la surface
élastique vibrante, laquelle équation n'est pas la même que celle
trouvée par
Lagrange
d'après l'hypothèse du Mémoire, et il ajoute: "J'imagine que la
question sera
posée avec un nouveau délai; ainsi miséricorde n'est pas perdue: au
contraire, il faut plus que jamais songer à emporter la palme".
Un
second concours fut, en effet, ouvert. Mlle Germain se remit à l'étude
et, le 23 septembre 1813, envoya un second Mémoire. Ici encore on voit
la sagacité de l'auteur trompée par l'imperfection de son instruction
première, et
Legendre,
qu'elle consulte (4 décembre 1813), ne le lui cacha pas: "Je ne
comprends pas du tout, lui écrit-il, l'analyse que vous m'envoyez, il y
a certainement erreur ou dans l'écriture ou dans le raisonnement; et je
suis porté à croire que vous n'avez pas une idée bien nette des
opérations qu'on fait sur les intégrales doubles dans le calcul des
variations". Et plus loin: "Il parait reconnu cependant que votre
équation est réellement celle de la surface vibrante. En mettant
l'analyse à part, le reste peut être bon, en ce qui concerne
l'explication des phénomènes. Si la commission de l'institut était de
cet avis, vous pourriez être mentionnée honorablement; mais je crains
bien que l'analyse manquée ne nuise beaucoup au Mémoire, malgré ce
qu'il peut contenir de bon".
Legendre ne
se trompait point: Mlle Germain obtint seulement la
mention honorable.
Un troisième
concours eut lieu en 1816. Cette fois, c'est
Poisson
que Mlle Germain consulte sur le Mémoire envoyé par elle, et Poisson
(15 janvier 1816) répond: "Le reproche que la commission lui a fait (au
mémoire) porte moins sur l'hypothèse dont vous êtes partie que sur la
manière dont vous avez appliqué le calcul à cette hypothèse. Le
résultat auquel ce calcul vous a conduite ne s'accorde avec le mien que
dans le seul cas où la surface s'écarte infiniment peu d'un plan, soit
dans l'état d'équilibre, soit dans l'état du mouvement".
Plus sûre
d'elle-même, Mlle Germain avait, pour ce nouveau concours, renoncé à
l'anonymat. L'Académie rendit un jugement à la suite duquel le Mémoire
fut enfin couronné, quoique l'équation n'y fut pas encore démontrée
rigoureusement.
La séance publique où le prix fut proclamé eut
lieu le 8 janvier 1816. Réservée ici, comme en toutes choses, Sophie
Germain s'abstint d'y paraitre.
C'est ce que le
Journal
des Débats
de l'époque constate en ces termes: " La classe des sciences
mathématiques et physiques de l'Institut a tenu aujourd'hui, 8, sa
séance publique, devant une assemblée fort nombreuse qu'avait attirée
sans doute le désir de voir une virtuose d'un genre nouveau, Mlle
Sophie Germain, à qui le prix des
lames élastiques
devait être donné. L'attente du public a été trompée: cette
dernière n'est point venue recevoir une palme que son sexe n'avait pu
encore cueillir en France".