"
Legendre
ayant, en 1798, publié la
Théorie
des nombres, elle se livra avec son ardeur habituelle à
l'étude de cette théorie, étude que nous

la
verrons
plus loin poursuivre; de là, entre eux, une correspondance qui, lors du
concours académique sur les surfaces élastiques auquel le nom de Sophie
Germain reste glorieusement attaché, prendra presque le caractère d'une
collaboration. Plus tard, en 1801, les
Disquisitiones arithmeticae
de
Gauss
paraissent; aussitôt la méditation de Mlle Germain se porte sur ce
sujet: elle fait de nombreuses recherches sur ce genre d'analyse,
applique la méthode à plusieurs cas spéciaux, généralise ce qui dans le
livre est particularisé, tente une nouvelle démonstration pour les
nombres premiers à propos de la célèbre formule de Fermat et, mettant
le tout sous pli, toujours sous le pseudonyme de Le Blanc, adresse ses
essais au célèbre professeur de Göttingue, persuadée, écrit-elle, qu'il
ne daignera pas d'éclairer de ses avis "
un amateur enthousiaste"
de la science qu'il cultive avec de si brillants succès. M. Le Blanc
était loin d'être un simple amateur, et
Gauss
s'en aperçut bien; aussi sa réponse, qui parvint au géomètre inconnu,
par l'entremise de M. Silvestre de Sacy, fut-elle des plus honorables.
Un commerce d'amitié s'ensuivit."
"Ces relations amicales
duraient depuis plusieurs années sans que
Gauss
connût le sexe et le nom de son correspondant, lorsque, en 1806, une
circonstance lui fit découvrir la pseudonymie. L'anecdote est
curieuse et montre que, même chez la femme, l'habitude de penser juste
ne porte aucune atteinte aux impulsions bienveillantes. Pendant la
campagne d'Iéna, les Français, vainqueurs, occupèrent la ville de
Brunswick où résidait alors le savant mathématicien. Mlle Germain se
souvient d'Archimède, s'alarme et, en termes chaleureux,
écrit à
un ami de sa famille, le général Pernety, chef d'état-major de
l'artillerie de l'armée d'Allemagne. Sa lettre trouve le général devant
Breslau, dont il dirige le siège. L'adjuration était sans doute bien
vive puisque, sans délai, un officier fut envoyé à Brunswick pour
prendre des nouvelles de la part du général et de Mlle Germain.
L'officier court en poste, arrive, trouve
Gauss
qui, chaudement recommandé et invité à diner chez le gouverneur,
déclare ne connaitre ni le général, ni
Mademoiselle Sophie Germain;
celle-ci, dans son empressement, avait oublié que l'intervention de M.
Le Blanc eût été seule compréhensible. Cependant sur le rapport que
l'envoyé rendit de sa mission, des explications furent échangées et
Gauss,
sachant à qui adresser l'expression de sa reconnaissance, s'en acquitta
dans des termes aussi touchants pour l'amie - c'est le mot qu'il
emploiera désormais - que flatteurs pour le géomètre. "